18-25 ans : Permis de vivre !
Épiceries solidaires, maraudes, distribution de colis alimentaires… autant d’illustrations de la précarité des jeunes qui s’est accentuée en nombre et en intensité depuis la crise sanitaire. À 20 ans, on veut vivre. Est-ce normal aujourd’hui de survivre ?
Bryan a 23 ans et sans hésitation, il précise tout de suite : « Je ne peux donc pas toucher le RSA ». Depuis août dernier, il vit sous la tente, à Chantepie, à quelques km de Rennes. La précarité, il sait ce que c’est depuis ses 16 ans, âge auquel il a quitté le domicile parental. « C’était compliqué ». Des hébergements à droite et à gauche et très vite le 115 et des nuits passées dehors. « C’est grâce aux maraudes et aux associations que j’arrive à survivre. Je tiens le coup pour mon fils, il a 3 ans. J’avance au jour le jour et je me dis que je vais m’en sortir. »
Pour rester debout, Bryan s’appuie sur la mission locale qui lui verse une aide financière de 75 euros/mois et sur « le Relais », un service de prévention spécialisé de l’association rennaise « Sauvegarde de l’Enfance à l’Adulte » (SEA) où il bénéficie d’un accompagnement éducatif. « C’est pour mon fils que je reste motivé, même si c’est dur. On m’aide et ça me permet d’avancer plus vite… ». Bryan se rend donc régulièrement au local du « Relais » où des rendez-vous individuels sont programmés pour la vingtaine de jeunes en moyenne suivie quotidiennement. C’est là qu’il a découvert les chantiers solidaires. « J’en ai déjà fait 3, ça m’apporte un peu d’argent et ça me fait plaisir d’aider des gens qui sont dans la galère, comme moi. J’aime bien, je vois du monde, je découvre des endroits et j’apprends des choses. » En octobre dernier, Bryan a participé à la finition des travaux d’un chantier de sortie d’insalubrité dans le Morbihan. 4 jours de partage et d’entraide, mais aussi 4 jours de repas chauds avec un toit sur la tête. « On était logé pas loin, c’était super. » Avec les 240 euros qu’il a gagnés, Bryan a pu s’offrir un téléphone d’occasion et payer son forfait. « Mon fils vit chez sa mère, comme ça je peux le joindre… ». Grâce au soutien du « Relais » et au dispositif « sortir de la rue » de la mission locale, Bryan devrait commencer une formation de remise à niveau rémunérée en décembre. « Pour les démarches, le mental, c’est important d’avoir des personnes qui vous aident, ça donne de l’espoir », précise Bryan, encadré depuis près de 2 ans par l’équipe des 4 salariés du « Relais ». « Suivre une formation de plusieurs mois quand on n’a pas de logement, qu’on ne mange pas à sa faim et qu’on vit dans la rue, sans ressource, c’est loin d’être facile ! On sait qu’il y aura des hauts et des bas et c’est là qu’on doit être vigilant pour que le jeune ne lâche pas. » précise Thierry François, éducateur spécialisé au « Relais » qui accompagne en moyenne 150 jeunes chaque année.
En 2019, 318 jeunes en errance étaient recensés à Rennes et cette année, dès septembre, ce chiffre était dépassé. Si des dispositifs d’aide tels que « sortir de la rue » existent, ils ne touchent malheureusement pas tous les jeunes en situation précaire et restent limitées dans le temps. Alors que les conséquences sociales de la crise se feront sentir sans doute pendant de nombreux mois, il devient impératif de ne laisser aucun d’entre eux sur le bord de la route.
Jeunesse oubliée
Comment imaginer pouvoir penser à construire son avenir quand on n’a pas de quoi se nourrir ? Quand il faut chercher tous les jours où dormir le soir ? Louise a 19 ans. Soutenue par ses parents, la jeune étudiante se dit chanceuse d’avoir pu commencer en septembre les études de son choix : « Une école d’assistante sociale, la seule spécialisée qui forme en 3 ans et qui est payante. Je le vois bien autour de moi, les jeunes travaillent pour pouvoir payer leurs études, se loger et manger. Avec le reconfinement, des étudiants sont très inquiets car sans petit boulot, ils ne peuvent plus y arriver… » Depuis l’été, Louise est aussi bénévole à l’association « Cœurs Résistants » qui vient en aide aux personnes à la rue dans la capitale bretonne. « Ce qui m’a le plus choqué, c’est le nombre de jeunes de mon âge à la rue. Beaucoup n’ont pas pu aller faire la saison estivale sur la côte. Sans aide familiale, il se sont retrouvés dehors... » En novembre dernier, Louise a rencontré une jeune femme de 22 ans, enceinte de plusieurs mois. « On a tout de suite appelé les hébergements pour femmes et enfants, mais il n’y avait aucune place, tout comme au 115… ».
Les conséquences économiques et sociales de la crise se perçoivent chez tous les jeunes, quel que soit leur statut. À Bordeaux, sur le campus universitaire qui regroupe quelque 50 000 étudiants, certains logements du Crous sont restés vides à la rentrée. Faute de petits boulots pendant l’été, des étudiants ont dû renoncer à leur logement. Parmi eux, des doctorants en droit. « Ad Hoc » est l’association qui leur vient en aide : « 20 % de nos membres n’ont aucune ressource. Sans bourse, sans chômage ni minima sociaux et avec des cours payés avec 5-6 mois de retard, difficile de ne pas lâcher ! La crise du Covid a été catastrophique. Certains ont tenu 2 mois 1/2 avec 100 euros ! Ils ne mangeaient que des pâtes », confie leur président, Kieran Van Den Bergh. « Aujourd’hui, les étudiants vont à la chasse aux petites aides pour tenir. 50 euros par-ci, un colis par-là… » Pourtant, depuis mars dernier, le Crous a débloqué 600 000 euros d’aides sociales, mais tous les étudiants n’en n’ont pas bénéficié. « Entre l’information qui circule mal, les justificatifs demandés qu’ils n’ont pas et le temps nécessaire qu’on ne peut pas prendre car il faut assurer les cours… Notre association a envoyé des tickets-service jusqu’à Pau et Poitiers », ajoute Kieran.
Des droits, un avenir
À Metz, l’AFEV (Association de la Fondation Etudiante pour la Ville) est aussi sur le qui-vive car la crise a là encore fragilisé un peu plus les personnes isolées et démunies, dont bon nombre de jeunes. 6 logements à petit loyer et en colocation à trois sont proposés par l’AFEV aux étudiants modestes à la Pattrote, l’un des quartiers prioritaires de la Ville, en échange d’heures de mantorat aux enfants scolarisés sur le secteur. Depuis la crise, tous se mobilisent tous les jours pour assurer la distribution de colis alimentaires proposés par les associations du quartier dont ils sont eux aussi bénéficiaires. « Nos principes, ce sont la solidarité et le soutien moral. Créer un lien de confiance avec les étudiants, éviter l’omerta sur les impayés de loyer, le manque de nourriture… il y a un vrai problème d’informations et d’accès aux droits pour ces jeunes. Depuis la crise du Covid, I’entraide s’est encore renforcée », précise Houssem Sahraoui, chargé de développement local à l’AFEV.
Logement, santé, formation, emploi… Favoriser l’accès aux droits de tous les jeunes en situation précaire, c’est aussi l’un des objectifs de l’association mulhousienne Surso. Avec la Mairie, elle a mis en place en 2009 le dispositif « Logijeunes » destiné à les accompagner depuis la rue jusqu’au logement. Orientés par le 115, la mission locale ou encore la Boutique Solidarité de l’association, Yoan fait partie des 55 jeunes qui bénéficient d’un logement et d’un accompagnement global sur-mesure. « C’est clair, sans l’accompagnement de Surso et ce studio, je n’en serais pas là aujourd’hui. Sans aucune aide, franchement, il faut un moral d’acier. Ce n’est pas qu’une question d’argent, ça dépend aussi de l’humain. Aujourd’hui, après des mois de galère, je sais que je ne suis plus seul, qu’on peut m’aider à y voir plus clair. Je me sens en sécurité et ça me motive ! » Yoan est accompagné par Surso depuis 2 ans. Un temps nécessaire qu’il peut prendre pour se reconstruire car il est désormais logé dignement et durablement, après un parcours loin d’avoir été linéaire. « Le « plus » de Surso, c’est d’être une béquille pour les jeunes jusqu’à ce qu’ils arrivent à marcher tout seul. On sait bien que leurs parcours sont de plus en plus chaotiques et que tant que l’autonomie n’est pas là, l’hébergement ne doit pas être remis en cause », précise Christine Ramakistin, assistance sociale à Surso.
Début décembre, pour répondre à l’urgence, une prime exceptionnelle de 150 euros a été versée à 1,3 millions de jeunes par le Gouvernement. Mais c’est d’une véritable stratégie de lutte contre la pauvreté dont ils ont besoin qui leur garantisse l’accès aux droits fondamentaux que sont un revenu suffisant dès 18 ans et un logement pérenne. Pour se construire et construire la société de demain.