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Expulsion : L’angoissante vie d’après

P. venait d’être à la retraite quand il s’est installé dans un deux-pièces parisien avec une amie, Pascale. « On avait chacun sa chambre, on était en colocation, en quelque sorte. On partageait le loyer, ça allait. Mais mon amie est tombée malade et a dû arrêter de travailler. Les difficultés ont commencé. Ma famille nous a un peu aidés, mais très vite, ce n’était plus possible. Pascale a tout de suite sollicité l’aide de l’Espace Solidarité Habitat qui l’a soutenue dans ses démarches pour éviter l’expulsion… mais finalement, elle a eu lieu, en août 2020. Je m’en rappelle encore, ils sont arrivés à 10 heures et à midi on était dehors. Voilà. Et après, le choc a continué. Mon amie a été relogée dans un hôtel meublé infâme et moi, j’ai pris une chambre dans un deux-étoiles, tout près, pour rester près d’elle quelques jours. Dès le début, ses problèmes physiques et psychologiques ont augmenté, elle a très mal vécu de se retrouver dans cet endroit « bas de gamme », où il y avait juste un micro-ondes et un petit frigo-congélateur pour tout le monde. Elle est restée là-bas un an, avec un dégât des eaux à la fin qui lui a fait perdre beaucoup d’affaires personnelles. En plus, le gérant a changé en cours d’année, il était méprisant et menaçant avec tous les occupants ; il ne respectait pas les horaires d’ouverture et de fermeture. À ce moment-là, je n’étais plus à Paris, j’étais parti vivre en province, mais je l’appelais toutes les semaines et je sentais qu’elle allait de plus en plus mal. Elle était complètement à bout. Son moral et son état général se dégradaient au fil des jours ».

À Paris, P. ne trouve aucune location à sa portée et est obligé de quitter la capitale après y avoir vécu toute sa vie. « J’aurais aimé y rester, je suis un citadin et j’aime Paris, je suis né à Neuilly-sur Seine. Rendez-vous compte, là où je vis aujourd’hui, il y a moins d’habitants que dans la résidence où je vivais ! » Derrière l’anecdote et le ton léger, P. ne cache pourtant pas longtemps sa difficulté d’adaptation et l’isolement ressenti dès son installation en province. « Je n’avais pas le choix. Tant qu’à faire de partir, j’ai tout de suite pensé à revenir près de l’île de Ré où j’avais passé toutes mes vacances d’enfance. Il a fallu que je me perde dans la campagne pour trouver une petite maison de 4-pièces au loyer abordable, à Saint Jean d’Angelys. J’ai 77 ans maintenant et je me sens souvent seul,, je ne connais que 5 personnes dans le village. » Plutôt réservé, P. fait des efforts quotidiens pour créer du lien et avoue : « Après l’expulsion, c’est un peu un exil forcé ».

Sur le qui-vive

Pascale lutte aussi de son côté pour retrouver une vie normale, après l’hospitalisation qui a suivi sa mise à l’abri en hôtel meublé. « J’ai encore en tête ma vie là-bas. On ne pouvait pas se parler entre nous, le gérant nous l’interdisait. On avait tous peur de lui. Il y avait souvent des pannes d’électricité. Tout me stressait tout le temps : l’heure, le bruit, le gérant. Je me disais sans arrêt : « Qu’est-ce qui va me tomber dessus ? », je ne dormais plus. Finalement, j’ai demandé à être hospitalisée car ça n’allait plus du tout. À un moment, j’étais au plus mal et je suis tombée dans le coma. Je n’ai pas pu payer mon garde-meubles pendant un temps, tout m’a été confisqué, j’ai tout perdu. »

Aujourd’hui, Pascale va mieux. En convalescence dans une famille d’accueil, elle reprend des forces et retrouve son autonomie. « J’ai retrouvé le sommeil et l’appétit. Globalement, j’ai tourné la page, mais quand j’en parle, j’ai tout de suite des nœuds dans la gorge. La suite, on verra plus tard… »

La suite, S, ne l’a pas attendu très longtemps : relogée depuis tout juste un an, 4 mois après son expulsion, elle fait partie des exceptions, surtout à Paris. « J’ai eu beaucoup de chance d’être relogée si vite, dans un 18 m2. Prioritaire Dalo, je n’étais qu’en 4e position sur ce logement, mais je l’ai eu ! C’est petit, mais c’est parfait pour moi et mon chat. En plus, il est en très bon état. Avant, j’étais dans un deux-pièces insalubre. » Selon l’enquête de la Fondation parue en mars dernier auprès d’une soixantaine de ménages délogés, l’arrivée dans le logement social marque la stabilisation du parcours résidentiel et l’amélioration des conditions de vie, avec une baisse du taux d’effort lié au montant moins élevé du loyer. En effet, sur l’ensemble des ménages enquêtés, le taux de logement considéré comme insalubre a baissé de 22 % à 2 %.

Aujourd’hui, à 58 ans, S. a retrouvé un travail après des mois de chômage et de difficultés qui avaient abouti à son expulsion. « Avant d’avoir mon logement social, j’ai été hébergée chez des amis qui m’ont aidée à avancer aussi. Ne pas être seule pour affronter ça, c’était important pour continuer à avancer. » Quand la page sera définitivement tournée, S. se lancera dans la reliure, en tant qu’auto-entrepreneuse. « C’est ma passion. Pour l’instant, mon boulot, c’est de l’alimentaire, pour payer les factures et bientôt rembourser ma dette de loyer. Je veux le faire, c’est normal. » En attendant, S tente d’oublier cette période qu’elle qualifie d’angoissante. « C’est difficile, ce n'est pas encore gagné. Ce qui a été le plus dur, c’est la lourdeur et la complexité des démarches. Aux yeux de l’administration, vous êtes un numéro, pas un humain, alors que la situation est déjà très tendue. Si je n'avais pas été soutenue par Laurence, du « Comité Action Logement », je ne m’en serais jamais sortie, j’étais paumée. Elle m’a écoutée, elle a fait le lien avec l’avocat pour le recours Dalo. S’il y a une personne à qui je dois rendre hommage, c’est bien à elle. »  Le langage, les procédures, les mails et appels qui n’aboutissent pas ; les heures d’attente pour atteindre des guichets où la confidentialité n’existe pas… S. s’en souviendra longtemps. « L’administration française me fait encore peur aujourd’hui. J’essaye d’oublier tous ces moments, mais c’est encore ça qui m’empêche de dormir. Et je ne veux pas prendre de somnifères. »

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