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Fabrique des personnes "sans-papiers", fabrique des mal-logés

3 questions à Pauline Portefaix, chargée d'études à la Fondation Abbé Pierre

Pourquoi et comment a été réalisée cette étude ?

Nous constatons sur le terrain que les personnes sans droit au séjour ont des difficultés croissantes pour accéder à un hébergement et à un logement au seul motif de leur situation administrative alors que la mise à l’abri en urgence et le droit au logement sont des droits fondamentaux. Le mouvement de précarisation des conditions d’accueil de ces personnes et le rétrécissement des droits qui leur étaient auparavant reconnus nous ont poussé à aller rencontrer cette population très stigmatisée pour montrer la réalité de ce qu’elle vit au quotidien. Pour réaliser cette étude, la Fondation a interrogé des personnes « sans-papiers » afin de comprendre leur parcours de vie et leurs conditions de logement, des acteurs institutionnels, des associations spécialisées, des citoyens engagés à leurs côtés, et des chercheur.euses experts des migrations. 

Quels en sont les principaux enseignements ?

Le premier est que la précarité administrative c’est-à-dire le fait de ne pas donner ou de retirer le droit au séjour à une personne crée du mal-logement. En l’absence de titre de séjour toute démarche pour accéder à un logement est compromise. La fabrique administrative des personnes "sans-papiers", c’est-à-dire le choix délibéré fait par l’Etat de laisser des personnes sans droit au séjour, crée du mal-logement, ou plus précisément engendre des ruptures de droits à l’origine de mal-logement. D’où le titre de cette étude : la fabrique des personnes "sans-papiers", fabrique des "mal-logés". Cela explique pourquoi on retrouve une telle surreprésentation des personnes dites en situation irrégulière parmi les personnes sans abri, en hébergement d’urgence, en bidonville ou dans de mauvaises conditions de logement, chez des marchands de sommeil, en surpeuplement ou hébergés chez des tiers.

Le deuxième est que la stabilité résidentielle est le point de départ de toute démarche d’intégration et qu’il existe déjà des solutions pour stabiliser les personnes dans un logement le temps de leur régularisation. Ces solutions sont à la fois plus dignes et moins chères que la seule réponse institutionnelle proposée aujourd’hui à savoir la mise à l’abri à l’hôtel. Disposer d’un lieu de vie digne et stable quel que soit son statut administratif est donc un impératif qui doit guider les politiques d’accueil des personnes étrangères en France.

Quelles sont les préconisations de la Fondation Abbé Pierre par rapport à la problématique de la fabrique des « sans-papiers », fabrique des mal-logés ?

La Fondation Abbé Pierre encourage les pouvoirs publics à soutenir ces dispositifs existants qui proposent d’autres formes d’accueil mais qui relèvent aujourd’hui plus du bricolage d’acteurs locaux et de citoyens engagés que d’une véritable politique publique. C’est ainsi que nous mettrons fin à cette politique de non-accueil qui est à la fois coûteuse et inhumaine. 
La Fondation formule des propositions qui permettraient l’accès et le maintien dans un hébergement ou un logement digne à toute personne quel que soit son statut administratif. Par exemple, il est facile de modifier des conditions d’accès au logement social pour permettre à un ménage dont au moins l’un des membres dispose d’un titre de séjour de pouvoir y accéder, même si tous les membres du foyer ne sont pas régularisés, comme c’était le cas jusqu’en 2010. Ou encore faciliter les procédures de relogement des personnes « sans-papiers » qui habitent un logement indigne en mettant en place plus systématiquement des conventions d’occupation temporaire avec les bailleurs sociaux.

Il est également indispensable de faciliter les démarches de régularisation administrative des personnes « sans-papiers », en assouplissant les critères de régularisation, en allouant aux préfectures des moyens humains supplémentaires pour faciliter l’accès au service public et réduire la durée d’instruction des demandes, accorder des titres de séjour plus longs pour donner plus de stabilité aux personnes, accorder un droit au travail dès qu’une demande de titre de séjour est déposée et favoriser le maintien des droits sociaux en cas de renouvellement d’un titre de séjour pour éviter les ruptures de droits.