J’avais 5 ans, mes parents n’avaient rien.
On est arrivé d’Algérie au début des années 50. Mon père n’avait pas de travail. On était à la rue.

Comme les hôtels n’acceptaient pas les enfants, ma mère nous cachait et nous passions le soir en douce pour rejoindre nos parents sans se faire prendre. Le matin, il fallait que nous partions rapidement, sans être vus… Et le soir, il fallait recommencer la même manœuvre pour pouvoir dormir au chaud.
Comme nous n’avions pas grand-chose à manger, ma mère nous faisait changer de trottoir dès qu’elle voyait une boulangerie sur notre chemin.
J’avais 5 ans. J’étais la cadette. Je ne sais plus comment nous avons atterris, mes sœurs et moi et mes parents, dans le village de tentes de Noisy le Grand. Il y avait de la boue partout ; nous étions en lisière de forêt et il faisait froid et humide. On se chauffait avec des lampes à pétrole.
Nous avions auparavant séjourné chez une vieille dame, Alexandrine, qui habitait une petite maison à Yvetot, en Normandie. Nous y découvrons la neige. Il fait si froid que ma mère nous met des bouteilles remplies d’eau chaude dans nos lits.
Nous arrivons à Paris fauchés comme les blés… Il fait froid et mon père rencontre l’abbé Pierre.
Je revois cet homme fluet, à la barbichette et au béret noir
Nous sommes logés dans des grandes tentes… Mon père, ma mère, Jacqueline, Evelyne et moi. Nous dormons sur des lits de camps, entourés de gadoue. Dans la tente voisine, un monsieur chante de l’opéra. C’est le début du camp, mon père aide l’abbé Pierre dès qu’il le peut ; il est l’un des hommes à tout faire et le seconde quand il n’est pas parti travailler ailleurs.
Nous faisons la queue pour manger de la soupe. Mon père part tôt le matin à l’usine, sans manger jusqu’au soir. Un jour, ma mère a de quoi lui faire un sandwich. Il l’oublie sur la table. Je vois encore ma mère pleurer lorsqu’elle le découvre.
Puis vient la naissance de Richard, le dernier petit frère, le plus petit des bébés que ma mère ait mis au monde. Il régurgite le lait qu’on lui donne, il semble refuser la vie qu’on lui a donné.
Je me souviens de Noël au camp, les camions apportent des jouets pour les enfants. L’abbé Pierre pleure. Je me demande pourquoi. Ma mère m’expliquera plus tard dans la journée que c’est le chagrin : on lui en demande toujours plus et il y a de plus en plus de monde dans le camp...
Témoignage d’Yvette Isabel Gallegos