Le logement au cœur de la crise
Des vaccins protègent aujourd’hui du virus, mais la crise économique et sociale continue de faire des dizaines de milliers de victimes. Alors que des pans entiers de la société sont touchés par la précarité, des vies sont préservées grâce à l’accès et au maintien dans un logement digne.
Gwenaelle a frappé à la porte de Camille, à Rostrenen (22), fin décembre. « La chaudière à gaz a lâché le 20, je venais de la remplir et n’avais pas encore payé la facture. Il faisait 5° dans la maison, j’ai emmené mes enfants au chaud chez mes parents et moi, j’ai loué un gîte. Je ne pouvais pas payer un hébergement pour 4 personnes. Dans l’urgence, il a fallu que je fasse vérifier les 2 vieux poêles à bois et que j’achète du bois. 1000 euros d’un coup, j’étais prise à la gorge. Le matin, j’allumais le four que je laissais ouvert et on se réchauffait devant… ça plus le reste, j’étais à bout. Ma mère s’est inquiétée, elle a appelé l’Agence locale du Centre Ouest Bretagne (Alecob) qui a envoyé Gwenaelle. »
Camille s’est sentie immédiatement aidée. « Quand on a acheté la maison avec mon mari, les propriétaires nous ont fourni de faux diagnostics énergétiques, on a très vite découvert que la maison était une vraie passoire. » Avec deux salaires à l’époque, les propriétaires arrivent à tenir mais traversent des années difficiles. Camille perd son travail, le couple se sépare ; vient ensuite le confinement qui bloque tout le monde à la maison et tout retour à l’emploi, puis la panne de la chaudière… Malgré tous ces coups, Camille résiste et se bat : « Devis des artisans, aide de l’Anah, plan « MaPrimRénov »… J’ai tout fait, mais rien n’a été débloqué à temps. »
C’est pour venir immédiatement en aide à quelque 40 situations de détresse comme celle de Camille que Gwenaelle Le Guellec est missionnée par l’Alecob depuis janvier avec un budget de 30 000 euros en poche. « Je vois des maisons inondées depuis des mois ; des logements où ce sont les animaux qui servent de chauffage. Derrière le taudis ou la passoire thermique, je découvre à chaque fois une précarité plus globale. La crise du Covid a fait de gros dégâts psychologiques sur les personnes mal logées et isolées », constate-t-elle.
Alors qu’en France, au moins 3,5 millions de Français sont en situation de précarité énergétique, 6 associations nationales de lutte contre la précarité énergétique dénonçaient début mars la possible suppression par le Gouvernement du dispositif des Certificat d’économie d’énergie (CEE) permettant aux ménages modestes de financer des travaux dans leur logement énergivore.
Au plus près des besoins
Dans le sud de l’Ardèche, la Direction départementale de la cohésion sociale et de la protection des populations (DDCSPP) effectue la même approche personnalisée, constatant une hausse des commandements de payer sur le territoire. « C’est une région rurale où les revenus sont modestes. Les premières difficultés de loyer sont arrivées en juin-juillet. Nous avons identifié les situations les plus urgentes parmi la soixantaine de dossiers qui passent entre nos mains chaque mois. Nous avons renforcé « l’aller vers » auprès de ces ménages avec une aide financière et un accompagnement complet afin qu’ils ne passent pas entre les mailles du filet », précise Bernadette Bouchet, adjointe au service des politiques sociales et logement de la DDCSPP de Privas.
De 114 à 1056 euros, l’aide immédiate versée aux ménages a pu alléger jusqu’à 50 % de la dette.
Un répit qui permet un accompagnement social efficace, malgré le manque de moyens humains. « Nous cherchons vraiment à réduire le nombre de commandements de payer et c’est un travail de longue haleine », ajoute Bernadette qui regrette de ne pas pouvoir plus intervenir alors que le sud-ardéchois, très touristique, a été fortement touché par la crise du Covid.
« Cette main tendue, ça m’a sauvée », avoue Mandy, qui a emménagé en janvier dernier à Ruons dans un F2 avec sa fille de 11 ans. Loyer, charges, essence… même s’il faut encore tout compter, le cercle infernal de l’endettement est enfin rompu. Un cercle infernal qui a débuté le 9 mars exactement, jour où Mandy a retrouvé un travail qu’elle n’a même pas pu commencer.
« Depuis plusieurs mois, mes indemnités chômage ne nous permettaient plus de vivre dans la maison que je louais et qui n’était pas isolée du tout. À l’époque, je travaillais comme aide à domicile, mais mon contrat n’a pas été prolongé. En l’espace de 6 mois, c’était fait, entre le loyer et les charges, j’avais une dette de près de 3 000 euros. L’aide financière a dédommagé en partie mon propriétaire et quand la conseillère lui a expliqué ma situation, il a compris que j’étais de bonne foi. Je me suis sentie vraiment soulagée. Ensuite, l’accompagnement dont j’ai bénéficié m’a permis d’obtenir ce logement social et aujourd’hui, avec le plan d’apurement que Natacha a monté, je sais que je vais pouvoir finir de régler mes dettes », précise Mandy avec émotion.
Natacha Lebre, conseillère en économie sociale et familiale, suit Mandy depuis juin dernier. De la prévention de l’expulsion au relogement, elle accompagne ainsi 15 ménages durant 3 à 9 mois : « Assurer la médiation entre le locataire et le propriétaire, relancer les démarches administratives et la recherche de financement, apporter un soutien en matière de budget… Ici, les situations se sont aggravées au niveau des impayés de loyer et de charges, l’activité touristique n’ayant fonctionné que 2 mois en 2020. »
Début février, un sondage Ipsos révélait que 29 % des Français exprimaient des craintes liées au logement pour 2021 et que 35 % des jeunes craignaient de ne pouvoir faire face à leurs dépenses de logement en 2021. Des chiffres qui justifient pleinement la création d’un fonds national d’aide à la quittance doté d’au moins 200 millions d’euros pour tous les locataires en difficulté, dans le parc privé comme dans le parc public, alors que la Banque de France prévoit un taux de chômage record de 11 % au premier semestre.
« Vivre comme tout le monde »
Dans son logement social à Lisses où elle s’est installée il y a près d’un an, Manuella est enfin sereine et n’attend qu’une chose, récupérer sa fille de 3 ans, en juin prochain. « J’aurai fini ma formation d’aide-soignante ; avec un travail et un toit, je vis enfin comme tout le monde. Ce logement, c’est la vie dont je rêvais, il m’a sauvée. » À 31 ans, Manuella n’a pas été épargnée par la vie : rupture familiale, dépression, hospitalisation, placement de sa fille à l’aide sociale à l’enfance… « Quand j’ai frappé à la porte du CRE en 2018, c’était ça ou la rue. Thomas et Cyril m’ont redonné espoir et m’ont tout de suite aidée pour tous mes papiers, je pouvais appeler tous les jours. Ils m’ont soutenue psychologiquement tant que j’en avais besoin et m’ont trouvé une colocation en attendant que ma situation soit réglée. Grâce à eux, tout a commencé à se mettre en place », résume-t-elle.
Rendre prioritaires au logement des personnes très éloignées du droit commun, c’est le défi que relève le « Collectif Reloger Essonne » (CRE) depuis 2017 grâce au dispositif « logement alternatif ». Thomas Lemaitre et Cyril Thumoux, éducateurs spécialisés, accompagnent une quarantaine de personnes très vulnérables qui font partie de ces « invisibles », ces 300 000 personnes sans domicile recensées en France.
« Nous pratiquons ce que nous appelons le non-abandon pour que ces personnes isolées, en grande souffrance psychologique ou psychiatrique ne soient freinées dans leur accès au logement. Au contraire, le logement, c’est le début de leur stabilisation », précise Thomas qui travaille avec son collègue en étroite collaboration avec l’ARS, les CCAS et la Préfecture. Objectif : ne pas créer de dispositifs d’exception mais au contraire relier ceux existants à tous les acteurs, bailleurs compris, afin d’apporter une réponse logement aux grands exclus.
« On a un public victime de situations discriminatoires, refusé jusque dans les hébergements d’urgence. On a saisi l’opportunité du plan « Logement d’Abord » pour accompagner ces personnes particulièrement vulnérables sans limite dans le temps jusqu’à l’autonomie dans le logement ». Aujourd’hui, le binôme a assuré le relogement de 17 personnes sur les 53 accompagnées, toutes locataires en titre dans le parc social essonnien.
« La stabilité, ça se gagne grâce à la confiance en soi. Cette confiance, on ne la retrouve qu’en rencontrant de belles personnes, mais aussi en retrouvant les gestes simples de la vie. Faire son lit, la cuisine ; accueillir des amis chez soi. Et ça, seul un logement le permet », note Manuella. « Avant, je n’avais rien et sans rien, on a vite des idées noires qui rendent malade. Aujourd’hui, j’ai tout. Je tiens à le dire, quand on est au fond du gouffre, on peut être aidé, il faut garder espoir. »