Vous êtes ici :

« L’expulsion, c’est la confrontation à l’effondrement de soi »

Marie-Anne Hourcastagné, psychologue, intervenante à l’Espace Solidarité Habitat.

Y a-t-il un lien clinique entre précarité et fragilité psychologique ?

Le psychiatre Jean Furtos a étudié cette question. Selon lui, à la différence de la pauvreté qui est l’état d’une personne qui manque de ressources pour mener une vie décente, la précarité est le sentiment d’incertitude et de peur du lendemain, avec la perte possible des objets sociaux tels que l’emploi, la famille ou encore l’habitat. Dans le cas extrême où l’on est expulsé, on est confronté avec l’effondrement de soi. Je m’explique : quand je suis expulsé de mon domicile, cela peut signifier que je ne suis plus considéré comme digne d’exister dans mon groupe d’appartenance, au sein de la cité. La perte du logement entraine alors la perte de la reconnaissance d’existence qui ne favorise plus les relations. Il est donc très important de tisser, de renouer des liens pour redonner confiance en l’autre et en soi, comme à l’espace clinique de suivi psychologique à l’ESH. C’est un lieu pérenne et sécurisant pour des personnes en perte de « chez soi ».

Quels sont les impacts psychologiques liés à l’expulsion ?

Pendant la procédure, la personne, déjà en situation précaire, développe un état anxieux, se sent angoissée, ce qui provoque des ruminations pénibles et douloureuses et une fatigue chronique. La perte de motivation, d’envie, la difficulté et la peur de se projeter ; il y a également des troubles du sommeil dus à un décalage entre la veille et le sommeil. On peut également développer des problèmes somatiques : douleurs répétées au ventre, aux articulations, au dos… ces symptômes peuvent se greffer aux expressions psychologiques d’un état anxieux dépressif. Ce qui est certain, c’est que la douleur et le sentiment de honte s’installent pendant tout le temps de la procédure et peuvent persister après l’expulsion. C’est le corps qui exprime d’abord ce que la tête n’arrive pas à dire. C’est là où le soutien psychologique est important, il s’agit d’étayer la personne dans son quotidien. Tenter de lui faire faire un pas de côté pour qu’elle ne se laisse pas envahir par la souffrance, par le principe de réalité – l’expulsion – qui est insupportable. À travers le logement, il s’agit d’aider la personne à explorer son intérieur afin qu’elle prenne conscience qu’elle n’a pas tout perdu. C’est cela que permet le suivi psychologique. Il est très important car il permet le lien avec l’autre et avec soi-même ; il permet aussi d’humaniser la procédure.

La résilience est-elle possible après l’expulsion ?

L’expulsion vient fragiliser la personne à un moment de sa vie, elle s’en souviendra. Quand il y a un suivi psychologique mis en place en amont, il peut voler en éclats en une demi-seconde. Le sentiment de honte est très fort.

Après l’expulsion, il faut donc tout reconstruire et ce temps est d’autant plus long que les difficultés sont nombreuses, qu’il s’agisse de problèmes de santé, d’emploi, de violences familiales… Ce qui va être fondamental, c’est de permettre à la personne expulsée de réaliser qu’on ne l’a pas dépossédée de ce qu’elle est, de ce qu’elle incarne. Pour qu’elle ne sombre pas, qu’elle puisse reprendre ses démarches d’accès aux droits, dont l’accès au logement.