Vous êtes ici :

Logement social : l’asphyxie

En 2007, la loi a institué le Droit au logement opposable (Dalo). Près de 20 ans plus tard, des millions de personnes n’arrivent pas à se loger. Et les plus modestes sont les premiers touchés.

« 17 février 2022 ». La date fuse. « Ce fut un soulagement, une libération. Sans logement, on n’est rien. Personne ne vous regarde et soi-même, on ne se considère pas. Sans logement, c’est l’échec tout de suite et l’échec total. » Ibrahim, 43 ans, a vécu quatre mois à la rue, à Saint-Denis de La Réunion. Tous les matins, il était à la Boutique Solidarité de la Fondation. « J’appelais le 115, je prenais mon petit-déjeuner, je faisais ma toilette. C’est là aussi que j’ai fait ma demande de logement social. On m’a aidé pour mes papiers administratifs et je cherchais des petits boulots. Quand je travaillais, personne ne savait que j’étais à la rue. C’était dur. Grâce à ma domiciliation à la Boutique, j’ai été reconnu prioritaire et on m’a proposé un logement. Je n’y croyais pas. Je pense que je fais partie des exceptions ». En 2023, La Réunion comptait 44 796 demandes de logements sociaux, soit l’augmentation la plus forte (après la Guadeloupe) observée en France. 140 000 personnes y souffrent de mal-logement ou d’absence de logement personnel. « La 1re nuit dans mon appartement, je n’ai presque pas dormi. J’ai admiré. Au réveil, je me suis dit : c’est le début d’une nouvelle aventure. » Aujourd’hui, Ibrahim enchaîne les CDD, bien installé dans son 37m2, dans le quartier de Saint-François. Il est aussi président de l’association « Développement Santé Education » qu’il a fondée avec un compagnon de galère, en 2021. « On est une dizaine de bénévoles, on développe les liens intergénérationnels, on lutte contre la pauvreté et la discrimination. On devrait bientôt avoir un soutien financier de la Mairie, c’est bien parti pour ! »

En accédant au logement, la vie d’Ibrahim est devenue une belle histoire. Mais combien d’autres ne le sont pas ? En France, 330 000 personnes sont sans domicile fixe ; pour elles, le droit au logement reste un rêve. À La Réunion, plusieurs associations interpellent les pouvoirs publics afin que l’île devienne un territoire « zéro personne à la rue » en 5 ans. Et en Métropole, dès 2019, le Collectif des Associations Unies proposait des mesures pour atteindre cet objectif dans l’Hexagone, après que le Président Macron s’est engagé en 2017 à ce « qu’il n’y ait plus de femmes et d’hommes dans les rues, dans les bois ou perdus ». Pourtant, depuis lors, la production de logements sociaux et très sociaux n’a cessé de chuter, les moyens financiers dédiés à l’habitat social ont été réduits, jusqu’à la présentation, en mai dernier, du projet de loi de réforme du logement social révisant la loi Solidarité et Renouvellement Urbain.

Un volume qui fait peur

« Les besoins sont énormes en Ile-de-France et la production continue de baisser de manière considérable, avec 18 499 logements sociaux en 2023. Il faut remonter à 2006 pour avoir un tel niveau alors qu’il en faudrait a minima 32 000. Notre objectif n’est plus de tirer la sonnette d’alarme, mais plutôt de montrer qu’il y a des solutions pour sortir de l’impasse et qu’il faut se poser la question des priorités de la politique publique car les logements sociaux et très sociaux ne doivent pas être remplacés par des logements intermédiaires qui sont inaccessibles aux plus modestes », souligne Anne-Katrin Le Doeuff, directrice de l’Association des organismes de logement social d’Ile-de-France (AORIF). 2023 a justement été une année record en production de logements intermédiaires, au détriment de la production sociale, alors que la demande Hlm a progressée de 12 % par rapport à 2022 sur ce territoire. « Il faut redonner des moyens aux bailleurs. Ils sont plus que fragilisés et doivent avancer de plus en plus de fonds propres pour construire ; l’État soutenant de moins en moins la production Hlm, les opérations sont de plus en plus déséquilibrées. »

Aujourd’hui, 1,7 millions de Franciliens attendent un logement Hlm et 70 % d’entre eux sont éligibles au logement très social. Des chiffres écrasants et une situation sans issue si aucune politique volontariste dédiée n’est menée par l’État car à l’échelon national, le pourcentage est le même : 70 % des demandeurs Hlm ont des ressources inférieures aux plafonds des logements très sociaux. « Dans notre département, nous avons 140 000 demandes de logements sociaux. Un volume qui nous fait peur, surtout quand on sait qu’un bailleur performant, compte tenu du prix du foncier et de l’augmentation des coûts des matériaux, n’arrive plus à équilibrer un programme immobilier avant 50 ans au moins », avoue Philippe Avez, directeur de l’association « Interlogement93 ». Entre 2019 et 2022, l’association a permis à 500 personnes (dont 209 enfants) d’accéder au logement pérenne en Seine-Saint-Denis, grâce au dispositif « Logement d’Abord ». En 2023, elles n’étaient plus que 40. « La dynamique politique n’est pas là où il faut, le gouvernement s’adresse beaucoup aux populations des villes préservées et il y a vraiment un problème de solidarité entre les territoires qui va s’accentuer si le projet de loi Logement est voté. L’hébergement à l’hôtel d’un ménage de 4 personnes revient environ à 2 400 euros/mois. La même famille sera logée dans le parc très social avec un loyer de 700 euros mensuels. » Un différentiel qui représente un coût certain pour la société, sans parler des conditions de vie et d’habitat incomparables.

La Courneuve, Le Blanc-Mesnil, Aubervilliers… « Je suis passé d’hôtel en hôtel avec ma femme et mes deux enfants pendant 8 ans. 8 années difficiles. Les enfants étaient stressés, toujours enfermés, c’était très dur. Aujourd’hui, ils sont libres d’aller et venir, comme nous. Ils ont leur chambre. C’est beaucoup plus facile pour nous de communiquer avec eux et de les accompagner, on les met dans le bon chemin. Quand on a un logement, on retrouve sa dignité.  C’est quand tu l’as perdue et que tu la retrouves que tu comprends l’importance du logement », confie Babouccar, père de famille accompagné par « Interlogement93 ».

Documents à télécharger