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Loger, c'est sauver

La question du logement et de l’hébergement dignes doit être une priorité nationale pour le prochain Président et son futur gouvernement.

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« Au début, je pensais trouver un logement bien avant mon assignation au tribunal. Depuis, l’audience a eu lieu et je ne sais pas ce que je vais devenir à la fin de la trêve hivernale ». S. témoigne avec des sanglots dans la voix. Cela fait près de 2 ans que la soixantenaire vit en sursis dans l’appartement parisien de 50 m2 que son propriétaire veut récupérer. « Avant, je vivais dans une passoire thermique, j’avais toujours froid et des factures de gaz énormes. Je me suis dit qu’il fallait que je trouve un logement de meilleure qualité, quitte à y mettre le prix ». Ce qui fut dit, fut fait et malgré un taux d’effort de près de 40 % pour payer son loyer, S., en CDI et se situant dans la classe moyenne, était heureuse : « J’avais un salaire correct et je n’ai jamais été dépensière. Je me sentais bien, c’était l’essentiel. » Mais le bonheur de S. s’est effondré en janvier 2020, quand le propriétaire l’a sommée de quitter les lieux. « Il a tout de suite fait appel à un huissier, m’a très vite harcelée alors que j’avais toujours payé mes loyers et que tout se passait bien. Dans la foulée, sont arrivés la crise du Covid, le chômage partiel et mon divorce… un enchainement d’épreuves qui m’a fait couler. En moins d’un an, j’étais assignée au tribunal et vu les prix à Paris, j’étais désespérée. »

Avec courage, S. se renseigne sur ses droits auprès d’une permanence juridique de son arrondissement qui la dirige vers l’Espace Solidarité Habitat (ESH). « Là-bas, on a été formidable pour moi. On m’a écoutée et on a repris mon dossier à zéro. J’étais terrorisée par l’audience, un avocat de l’ESH m’a défendue et a pu retarder l’expulsion. Mais tout était très lourd… » Malgré ce soutien, S. est en arrêt maladie depuis plusieurs mois et n’arrive pas à reprendre pied. Ses revenus, déjà affectés par la crise, ont encore diminué. « j’ai un budget de 800 euros. À plus de 60 ans, pour un logement social, avec une demande qui date de 10 ans, ça devrait être possible, non ? Je sais qu’il y a pire que moi, mais je ne veux pas finir en banlieue, seule dans un studio ». À la peur de se retrouver à la rue, s’ajoute le sentiment d’injustice pour S. qui se connecte chaque matin sur « LOC’annonces », le site de la Mairie de Paris : « Pour chaque appartement, on est 500 sur l’offre. J’ai travaillé toute ma vie, je ne pensais pas finir ma vie comme ça… ».

Sébastoen Godefroy

À la hussarde

Le manque criant de logements accessibles affecte non seulement la capitale, mais également les agglomérations régionales, comme la métropole de Lyon. « Nous constatons l’effondrement des attributions du logement social, avec des conditions d’accès qui se sont beaucoup rigidifiées, générant un report vers l’hébergement, déjà saturé », constate Evelyne Guerraz, chargée de mission à l’Alpil, « Action pour l’insertion par le logement ». Dans le département du Rhône, 8 000 à 9 000 demandes d’hébergement d’urgence ou d’insertion ont été comptabilisées l’an dernier avec des délais d’attente qui s’allongent : plus d’un an pour certaines catégories de besoins. « En ce qui concerne le logement et l’hébergement et le manque d’offres, l’accès se complexifie avec un surcroit de critères dans les dispositifs locaux de priorisation ; on est dans un système de dissuasion… Nous-mêmes, professionnels, nous sommes amenés à accompagner des démarches que nous ne maîtrisons pas forcément que qui relèvent de domaines périphériques au logement et avec le Covid, la dématérialisation s’est faite à la hussarde », confie-elle. 

Dans les permanences d’accueil et d’accès aux droits de l’Alpil où sont accompagnés jusqu’à 3 000 ménages de la métropole lyonnaise, une partie du public a perdu toute autonomie dans les démarches à réaliser pour faire valoir leurs droits. Pire encore, certaines personnes ont dû rembourser des sommes trop perçues et ont été mises en difficulté après avoir fait des erreurs. Résultat, le non-recours aux droits progresse là où il est pourtant vital de le faciliter. « Nous avons de plus en plus de ménages en décrochage, avec des problématiques multiples et en face, les lieux d’appui sont de plus en plus rares ». À Lyon, impossible aujourd’hui de prendre rendez-vous à la Caisse d’Allocations Familiales ou toute autre administration sans passer par des sites en ligne.

Lame de fond

Autre territoire, autre forme d’interpellation. À Montpellier, une campagne d’affichage et une pétition en ligne, « L 345 », circulent depuis la mi-février. Initiées par 5 associations, elle a pour objectif de sensibiliser l’opinion et de défendre le droit à l’hébergement d’urgence en respectant la loi. Dans l’agglomération, la population augmente d’environ 10 000 habitants/an pour 5 000 logements construits chaque année. À 10 km à l’ouest de Montpellier, à Saint Aunès, Léonie et ses 2 garçons âgés de 11 et 13 ans 1/2, vivent depuis août dernier à droite, à gauche, hébergés chez des amis. « J’essaye de faire en sorte que cela ne pèse pas trop sur eux, car après ma séparation et la vente de la maison, je veux vraiment les préserver. On n’attend qu’une chose tous les trois, c’est d’avoir un chez-nous », précise-t-elle. Léonie a fait une demande de logement social il y a plus de 2 ans, dans ce village rural où elle souhaite pouvoir continuer à exercer sa profession et où ses garçons s’épanouissent. « Je suis assistante maternelle à mon domicile, donc je suis au chômage tant que je n’ai pas de logement. Avant, je gardais 3 enfants et cela me convenait, j’avais un salaire correct ». Pour pouvoir travailler, Léonie a demandé un T4 sur la commune qui s’est fortement développée en 10 ans et sur laquelle une 4e tranche de construction de logements sociaux sera terminée en octobre. « Je sais que je suis prioritaire, mais pour l’instant je n’ai aucune confirmation. Dans le privé, ici, il y a très peu de T4 et il faut compter entre 1200 et 1300 euros de loyer, quasiment un smic. Impossible pour moi, même en travaillant, car il y a le reste, les charges, les courses, les assurances… ». Prioritaire, Léonie n’a pas cherché ailleurs et ne peut se permettre de louer un logement plus petit si elle veut pouvoir être autonome financièrement. « J’ai fait mes calculs, il faut que je garde 3 enfants, il me faut donc 3 chambres pour avoir l’agrément. Sinon, je ne m’en sortirai pas. J’ai expliqué la situation à mes garçons, ils comprennent et savent qu’on n’a pas le choix, ils acceptent cette vie de nomade ».

Selon le principe des vases communicants, dans l’Hérault comme ailleurs, le manque de logements sociaux entretient la saturation de l’hébergement d’urgence, ce que les associations dénoncent à l’unanimité. « Pour faire vraiment bouger les choses, il faudrait flécher des financements sur le logement social et très social et lancer des appels à projets qui permettent aux associations bien implantées sur le terrain de favoriser l’insertion par le logement. Montpellier compte 25 000 logements sociaux et autant de demandes… En attendant la construction des logements, on ne veut pas qu’il y ait de l’hébergement à tout prix, il faut des solutions dignes et durables, où l’accompagnement soit possible », affirme Amélie Corpet. 

Sébastoen Godefroy