Au Palais du Luxembourg, 60 ans après l'Appel de 54
Ce jeudi 3 juillet, une centaine de personnes accueillies dans les Boutiques Solidarité et logées dans les Pensions de famille de la Fondation Abbé Pierre échangeaient avec des Sénateurs, au Palais du Luxembourg.
Pourquoi tant d'immeubles vacants à Tours alors que nous sommes nombreux à la rue ? Pourquoi n'avons-nous pas la possibilité de vivre normalement ? Jean-Luc, 52 ans, au RSA, a fait le voyage tôt ce matin pour poser ses questions aux élus de la République, aux Sénateurs conviés par la Fondation Abbé Pierre à échanger sur les questions de logement, d'hébergement et d'accès aux droits avec les personnes en grande difficulté.
Jean-Pierre Bel, président du Sénat a ouvert cette matinée en rappelant qu'il y a 60 ans, l'abbé Pierre lançait son Appel et que le manque criant de logements accessibles constaté encore aujourd'hui était un scandale de la République.
Elevé dans une cité Hlm de Toulouse, le Président de la chambre haute du Parlement français a souhaité la bienvenue à l'ensemble des participants : "Ce lieu symbolique doit évoluer et doit être un lieu d'échanges et de rencontres pour des personnes qui n'ont pas l'habitude d'y entrer. Ici, ceux et celles qui sont venus vous écouter veulent vous aider, vous accompagner."
le protocole laisse la place À la rue
Plus d'une dizaines de sénateurs et sénatrices ont répondu présent à l'appel de la Fondation et sont venus dialoguer avec les personnes en difficulté qui ont raconté avec courage, dignité et émotion leurs parcours chaotique, leurs épreuves et leur espérances.
La rue a marqué chacun de ces invités d'un jour. Histoires passées et difficultés présentes se mélent étroitement dans les récits pour mieux expliquer la détresse, la solitude et finalement, l'exclusion. Sans les structures de la Fondation Abbé Pierre, chacun sait qu'il ne serait pas là. Et c'est justement pour aider à leur tour que chacun est venu témoigner.
De leur côté, certains sénateurs avaient fait le déplacement dans les structures de la Fondation Abbé Pierre, Pension de famille ou Boutique Solidarité, quelque temps auparavant pour prendre consicence des besoins, des difficultés rencontrées par ceux et celles qui sont quotidiennement mis à l'écart ou tout simplement rejetés.
Sur place, en Isère, en Ile-de-France ou en Bretagne, les élus ont découvert que les lieux de vie de la Fondation apportaient non seulement "de quoi manger et dormir" mais également une écoute, des conseils, un suivi personnalisé qui permettent de "reprendre confiance en soi et de se respecter à nouveau"
Logement, hébergement et accès aux droits
Trois thématiques de discussion étaient proposées aux élus par les personnes accueillies dans les Boutiques et les résidants des Pensions de famille. Prenant le micro tour à tour, Rachid, Abdel, Pierre, Liliane et tous les autres ont raconté leur quotidien... mais aussi celui de leurs camarades.
À quatre reprises, ils se sont retrouvés par petits groupes de 15 pour préparer cette journée historique. Grâce à Abdel, formateur, ils ont appris quels étaient leurs droits de citoyen, quelles étaient les institutions de la République qui votaient les lois et qui pouvaient faire changer les choses. Découvrir ce que les mots "Liberté, Egalité, Fraternité" pouvaient impliquer pour eux aujourd'hui et pour d'autres demain.
Avoir le droit de vivre
Rachid vient du centre d'hébergement Péreire, à Paris. Il vient d'entendre le témoignage d'une personne accueillie à 13 000 km de là, dans l'une des 2 Boutiques Solidarité de l'Ile de la Réunion... alors qu'il n'en revient pas d'entendre que 4 familles vivent avec un seul point d'eau, il annonce tout simplement qu'il n'en peut plus de faire semblant de vivre. "Avec le RSA, comment faire pour avoir un toit à Paris ?"
Logements insalubres, marchands de sommeil.... pour la plupart, la galère du logement et des conditions de vie indignes sont venues s'ajouter à la perte de l'emploi, à l'épreuve d'une séparation. Vient le témoignage d'un homme assis. "C'est tellement cher qu'on est obligé de louer des chambres insalubres ; l'état des lieux se fait la nuit."
Olivier a vécu 15 ans dans une cabane dans les bois. Depuis qu'il fréquente la Boutique Solidarité de Gagny, il a pu partir en voyage au Maroc, en Corrèze, ou encore dans le Midi. "Je fais également partie du café-philo qui a lieu toutes les semaines. Dans les Boutiques, on parle, on voyage, on s'entraide et il y a plein d'activités. C'est très important. Il faut plus de structures comme celles-là dans toutes les villes de France."
Détresse, Espoir, humour
De plus en plus de demandeurs d'asile, de sans-papier fréquentent les accueils de jour de la Fondation Abbé Pierre. Venus du Rwanda, d'Algérie ou encore de Sainte-Lucie, ils ont fait des études supérieures, parlent français et se retrouvent à la rue dès que leur titre de séjour n'est plus valable. Accès au logement, accès à la santé, accès à l'information... rien ne leur est possible sans l'aide des associations.
Lorsque l'on est une femme, la rue est dangereuse : "Je me suis retrouvée seule en pleine nuit et je ne pouvais pas appeler les forces de l'ordre, je n'étais pas en règle... Je veux vivre légalement dans ce pays que j'ai choisi. Donnez-moi une chance de pour ne plus penser tous les jours à l'endroit où je vais dormir le soir."
Une femme plus jeune se lève et prend la parole : "mon titre de séjour prend fin le 15 juillet. Est-ce normal d'appeler le 115 tous les soirs dans le pays des droits de l'Homme ?"
Yvette, 53 ans, bénévole à la Pension de famille de Cavaillon prend le micro : "De plus en plus de personnes à la rue sont pourchassées et arrêtées en été car il est interdit de mendier en ville pour préserver les touristes. Or des touristes, à Cavaillon, il n'y en a pas !"
Mobilisation collective
Plusieurs sénateurs de tous bords ont pris la parole au fil des témoignages pour souligner qu'effectivement il fallait faire pression pour que les lois votées soient appliquées : loi SRU, Dalo et plus récemment loi ALUR alors que quelques heures auparavant, dans la nuit de mercredi à jeudi, le gel des Allocations logement avait été évité de justesse à l'Assemblée Nationale.
Marie-Noëlle Lienemann, ancienne ministre déléguée au Logement, a pris la parole pour dénoncer une situation inacceptable en temps de crise du logement : "Lorsque l'on voit que la BNP est capable de payer 6 millions d'euros de pénalités sans débourser un centime pour le logement social, il faut avoir la volonté de se battre et de se battre tous ensemble !"
Tous les élus présents ont reconnu que le logement ne doit pas être une marchandise comme une autre mais un Droit pour tous et que les moyens financiers octroyés aux communes qui favorisent la construction de logements sociaux sur leur terrritoire devaient être plus importants. Tous se sont engagés à veiller à ce que les lois soient bel et bien appliquées et à se faire les porte-voix de celles et ceux que l'on n'entend pas.
Cloturant cette matinée exceptionnelle, Jean-Pierre Bel et Claude Dilain ont affirmé que de telles rencontres devaient être multipliées. Et l'on a même entendu un souhait qui a fait l'unanimité : que le Droit au logement soit inscrit dans la Constitution.