Quand c'est le logement qui rend malade - Étude dans le Douaisis
La Fondation a initié la réalisation d'une seconde étude sur les liens entre précarité énergétique et santé, dans le Douaisis, présentée lors d'un colloque, jeudi 10 octobre.
Depuis de nombreuses années, le PACT du Douaisis a pour mission d’accompagner les ménages défavorisés en difficulté et travaille à l’insertion sociale de ces familles. Un de ses axes d’intervention est la lutte contre le mal-logement en les aidant à bénéficier d’un logement décent.
Cette étude a été réalisée par le CREAI-ORS Languedoc-Roussillon et le PACT du Douaisis et initiée par la Fondation avec le soutien financier de la fondation MACIF.
Le public rencontré par le PACT est principalement constitué de ménages pauvres, fragiles ou rencontrant des difficultés temporaires ou bien durablement. Il pourra s’agir d’un accompagnement social ou d’améliorer leurs conditions d’habitat. Ces derniers temps, leur demande s’est modifiée et s’exprime au travers de deux motifs :
• soit une charge trop importante des factures énergétiques liées au logement pouvant entraîner impayés ou coupures d’énergie,
• soit l’impossibilité en hiver d’atteindre une température de confort dans de bonnes conditions.
Ces deux éléments peuvent être considérés comme des marqueurs d’une situation de précarité énergétique au vu de la définition qu’en donne la Loi Grenelle II. Au-delà de cette expertise de la situation, des travaux peuvent être proposés ainsi que des solutions permettant aux occupants du logement de les mettre en œuvre.
Face à ces situations, les travailleurs sociaux et les techniciens du PACT se posent régulièrement la question de l’impact de ces situations sur la santé de la population : comment le fait de vivre dans des logements insuffisamment chauffés impacte la santé de ces habitants, au-delà des effets plus généraux des situations de précarité sociale dans lesquelles ces personnes sont le plus souvent. Ces interrogations rejoignent les préoccupations de la Fondation Abbé Pierre.
Soutenue par la Macif, la Fondation a proposé de réaliser une seconde étude sur les effets de la précarité énergétique sur la santé dans le Douaisis (en 2012-2013, une étude pilote a été conduite dans l’Hérault sur ces mêmes liens).
195 LOGEMENTS ET 394 PERSONNES ENQUÊTÉES.
Les ménages de 195 logements ont participé à l’étude : 99 d’entre eux se sont avérés exposés à la précarité énergétique quand 96 autres ménages n’étaient pas exposés. Les ménages du groupe exposé à la précarité énergétique habitent plus souvent dans des logements plus anciens. Dans plus de quatre cas sur cinq, ils vivent sous le seuil de pauvreté, comme les ménages non exposés qui ont été interrogés.
DES LOGEMENTS MOINS VENTILÉS ET MOINS ISOLÉS
Dans les logements des personnes exposées à la précarité énergétique, les salles de bains sont moins souvent équipées de bouches de ventilation et, quand celles-ci existent, elles sont plus souvent obstruées. Les fenêtres sont moins souvent équipées de double vitrage. Les traces d’humidité ou les moisissures sur les murs sont également plus fréquentes.
DES DIFFICULTÉS À SE CHAUFFER
Les ménages exposés à la précarité énergétique disposent moins souvent d’un chauffage central et ils ont moins souvent la possibilité de régler eux-mêmes la température de chauffage. L’électricité est pour eux la principale source d’énergie pour le chauffage. Ils utilisent plus souvent un chauffage d’appoint l’hiver.
Reportage dans le douaisis
Dehors, il pleut et il fait tout juste 10°. Nous sommes à Marchiennes, à la fin du mois de mai. L’humidité et le froid se sont succédés ici sans interruption depuis novembre.
« Nous avons déménagé en juin dernier car le loyer était moins élevé. Mais les 100 euros d’économie sont vite partis dans les dépenses de bois pour l’insert et de gaz pour l’eau chaude. Au total, nous dépensons 200 euros de plus. C’est sûr, on ne peut passer un nouvel hiver comme ça » déplore Mr. G, allocataire du RSA.
Pour aller dans la salle de bains, les 5 membres de la famille passent par la cuisine condamnée depuis sept mois. À chaque fois, c’est le chaud et froid assuré et un courant d’air glacial. « On a tout le temps le nez qui coule même si on se soigne. C’est pire pour les enfants, ils enchaînent les rhumes, les toux, ils dorment mal. »
Cet hiver, les deux plus grands – 5 et 6 ans – installés sous les combles essayaient de se tenir chaud en couchant dans le même lit, à grands renfort de pulls, chaussettes et couvertures. Pas de radiateur à l’étage et au dessus du lit, une vieille fenêtre de toit qui laisse bien passer l’air. « Ce qui est terrible, c’est que le propriétaire a réalisé des travaux récemment, on le voit, mais rien n’a été bien fait » note Antoine Bailleux, éducateur spécialisé à l’association le Pact de Douai.
Le chauffe-eau a laché il y a 6 mois, seule la fenêtre du bas est en double vitrage et les écarts de températures entre les pièces sont très forts. « C’est ce qu’il y a de pire car cela favorise l’humidité. Nous expliquons aux personnes en difficulté qui viennent nous voir qu’il faut assurer une température constante partout dans le logement pour la santé des occupants et pour le maintien en état du bâti. Il faut aussi insister sur la ventilation, même si cela paraît contradictoire. Bien souvent, les projets ne sont pas cohérents : on change les fenêtres mais on n’isole pas les combles… » précise Fanny Chrétien qui réalise les audits thermiques préalables au financement des travaux au Pact.
Guillaume Danas, chargé de la décence au Pact de Douai est formel : « Quasiment toutes les familles rencontrées lors de l’enquête se chauffent avec des appareils d’appoint, au gaz ou au pétrole. Les risques pour la santé sont énormes car, en plus, elles se calfeutrent. Une seule pièce est chauffée à fond et la chaleur est censée rayonner autour. Les santés s’en ressentent, il n’est pas rare de voir des familles nous montrer leur certificat médical. »
Comble de la situation, certains occupants, propriétaires ou locataires, sont équipés d’une chaudière et de radiateurs dans toutes les pièces… mais aucun n’a les moyens de payer comptant 1000 litres de fuel. Et Antoine Bailleux d’ajouter : « L’état du logement exacerbe le sentiment de mauvaise santé. »
UNE SANTÉ PERÇUE DÉGRADÉE
La note de santé globale (de 0 à 10) que se donnent les personnes en précarité énergétiqueestmoinsbonne.Lequestionnaire comportait une échelle de santé perçue de Duke1 permettant de construire un score général et des scores par dimension. L’analyse de ces scores montre également un état de santé dégradé, que ce soit de façon générale ou pour des dimensions comme la santé physique, la santé mentale, l’anxiété ou la dépression.
DES PATHOLOGIES AIGUËS ET DES SYMPTÔMES PLUS FRÉQUENTS
Parmi les pathologies chroniques étudiées, une seule apparaît plus fréquente chez les adultes exposés à la précarité énergétique : il s’agit de l’anxiété et de la dépression. Les pathologies aiguës de type rhumes et angines ou diarrhées sont significativement plus fréquentes chez les personnes exposées à la précarité énergétique. Enfin, presque tous les symptômes explorés dans le questionnaire sont plus fréquents en cas d’exposition à la précarité énergétique : sifflements respiratoires, crises d’asthme, rhumes des foins, rhinorrhées (nez qui coule), fatigue importante, maux de têtes ou picotement des yeux.
Les parents donnent sensiblement la même note pour qualifier la santé de leurs enfants, qu’ils soient ou non exposés à la précarité énergétique.
Les enfants exposés à la précarité énergétique ont plus souvent présenté des symptômes comme des sifflements respiratoires ou des rhinorrhées (nez qui coule) au cours des douze mois précédant l’enquête.
Après l’étude pilote de l’Hérault, cette étude montre que l’état de santé des personnes en situation de précarité énergétique apparaît plus dégradé que celui des personnes qui n’y sont pas soumises. Les résultats de cette étude doivent être maintenant combinés avec ceux de l’Hérault pour en renforcer les constats, voire en mettre de nouveaux en évidence. D’ores et déjà, les résultats obtenus dans le Douaisis peuvent être utilisés pour nourrir le débat sur les effets de la précarité énergétique et aider à la mise en œuvre de politiques publiques adaptées dans ce domaine.