L’après-Covid : Les nouveaux paris solidaires
Tony et Amoumen se sont connus l’été dernier, en pleine pandémie, dans le campement de fortune de Bordeaux-Lac. Aujourd’hui, tous deux ont un logement et sont bénévoles pour l’association « Diamants des Cités ».
Chaque semaine, ils partent en maraude dans la capitale et l’agglomération bordelaises. « Vivre dehors, c’est dur moralement et physiquement. Il faut lutter contre le froid, l’humidité, les rats qui courent partout, se nourrir, rester propre… on craque vite dans sa tête », confie Tony, dont la vie a radicalement changé en quelques mois. À 35 ans, il vit désormais dans un studio et a un emploi de jardinier ; Amounem, en colocation, cherche à régulariser sa situation.
« Diamants des Cités, c’est une vraie famille ; ici, tout le monde s’entraide et se sent utile ». Ici, c’est à « La Mine », un bâtiment vacant dans lequel l’association a installé 24 adultes et familles ainsi que 22 enfants, sans domicile. « La crise du Covid a renforcé notre efficacité. Quand on voit les gens tous les jours, qu’on leur donne à manger, ils deviennent des amis et on ne peut pas les laisser à l’abandon. C’est comme ça que le Collectif est devenu l’association « Diamants des Cités ». Et c’est comme ça aussi que nous avons réussi à récupérer auprès de la Mairie cet immeuble vide depuis un an que l’on a appelé « La Mine » », précise Mohamed Sammoudi, dit « Morti », le fondateur, qui a aussi obtenu auprès de la Ville le raccordement à l’électricité et à l’eau du bâtiment.
Aujourd’hui, la vie collective s’est organisée à « La Mine », où les occupants se sentent en sécurité. C’est là que Tony a vécu pendant 6 mois : « Une belle période ! Un toit, du réconfort et pas de charges… ça m’a permis de remonter la pente ». Après la survie en squats, dans la rue ou dans un campement, passer la porte de « La Mine », redonne espoir à chacun.
« On aide chacun à développer ses talents, à aider après avoir été aidé. C’est ici que sont confectionnés plus de 100 repas chauds distribués lors des maraudes, que l’on proposera bientôt à la vente aussi, sous forme de plats à emporter. On veut créer une petite activité économique grâce à tous les savoirs culinaires », explique Morti avec enthousiasme, continuant sur sa lancée : « Avec la crise, nous avons encore renforcé nos liens avec nos partenaires pour agir ensemble sur l’accès aux droits, dont le logement, et ça marche ! Nous sommes aujourd’hui en contact avec des bailleurs sociaux ».
Objectif : « récupérer » des maisons vacantes pour y placer pendant un temps donné des familles en attente de régularisation ou encore proposer des colocations à des jeunes en insertion, comme Tony.
« Ensemble, on peut trouver des solutions concrètes et pérennes pour éviter la rue ». Même si rien n’est encore joué, c’est la première fois en tout cas que « Morti » se sent soutenu par tous les acteurs concernés : habitants et associations, bien sûr, mais aussi la Ville et les bailleurs publics. De quoi se sentir pousser des ailes…
« Abri jeunes »
Cet optimisme est partagé par Monique Vuaillat, ancienne élue à l’Habitat, à Grenoble. Membre actif de l’« Association de PArrainage Républicain des Demandeurs d'Asile et de Protection » (Apardap), elle a vu l’extrême pauvreté des jeunes migrants s’accentuer avec la crise du Covid. « Cela fait quelques années que l’on dénonce le fait que des jeunes, une fois majeurs, sont laissés à l’abandon par les institutions, notamment par le département de l’Isère. La crise du Covid nous a obligés à « prendre le taureau par les cornes » et, en mars 2020, on a réussi à louer 4 logements pendant 4 mois pour 4 jeunes sans ressource. Ce projet datait de 2019 et n’avait jamais vu le jour », précise-t-elle. À partir de là, une véritable chaine solidaire, portée par l’Apardap, la Cimade et le collectif « 3MIE » s’est mise en place pour aboutir en un temps record à l’installation de 24 jeunes, âgés de 18 à 29 ans, dans un bâtiment du quartier de l’Abbaye, cédé pour 3 ans par la Ville et et remis en état par la Métropole.
Sory, en 1ère année de CAP de maçonnerie, s’est installé le 1er mai dans l’un des 8 logements, avec deux colocataires. À 19 ans ½, ce jeune Ghanéen s’est retrouvé à la rue après que l’ASE n’a pas renouvelé son contrat à sa majorité. « Au début, je me suis débrouillé avec mes amis, mais c’est vite devenu de plus en plus dur ; parfois après les cours, je cherchais jusqu’à 22 heures, j’avais peur de ne rien trouver… J’avais du mal à suivre ma formation, à poursuivre mes démarches pour rester en France. Quand la Cimade m’a proposé cette possibilité, j’ai tout de suite voulu tenter ma chance », précise-t-il. C’est dans la famille d’accueil bénévole qui l’hébergeait pour quelques semaines que le jeune homme a appris que sa candidature avait été retenue. « J’étais très ému, on était plus d’une trentaine à avoir postulé. D’un seul coup, j’ai revu tout le film de cette année passée vraiment difficile. Aujourd’hui, je me sens bien, j’ai un endroit pour moi, pour travailler mais aussi pour me reposer, faire ce que je veux… Je ne suis plus du tout stressé et je peux enfin poursuivre mes démarches et mes cours en le faisant bien. Pour moi, ce logement, c’est le fondement de tout, c’est la possibilité de faire les choses en attendant le renouvellement de mon titre de séjour, j’espère, l’année prochaine. »
« C’est incroyable, les jeunes n’ont aucun frais, tout est pris en charge. Du CCAS qui assure leur accompagnement, au fournisseur local d’électricité, en passant par la régie pour l’eau, nous avons réussi à engager tout le monde », précise Monique. Et pour boucler la boucle, l’ameublement des logements a été assuré par Emmaüs et l’équipement électroménager, par un Collectif d’habitants. « C’est la première fois que je vois aboutir une tel projet, sans aucune aide de l’État et porté par autant d’élus. C’est quelque chose d’original qui va rester et qui va pourrait faire des petits ! Désormais à l’abri, les jeunes sont déjà en train de tisser des liens avec les associations locales et les habitants pour que le quartier continue de vivre malgré les gros travaux de rénovation en cours », se réjouit cette militante de l’« Apardap », en lien avec 1500 migrants en Isère.
L’inclusion, l’antidote
À Aubervilliers, où un habitant sur deux vit sous le seuil de pauvreté, la crise a très vite provoqué une onde de choc, révélant l’ampleur des besoins et de nouvelles situations de pauvreté.
« On a très vite vu qu’il allait falloir répondre dans la durée à notre public. Qu’il fallait continuer à accompagner les personnes, encore plus avec la crise », précise Charlotte Prando, éducatrice de rue, qui a fondé « Emergence 93 », en 2017. Parmi elles, Mohamed, 29 ans, qui partage son temps à l’association entre le chantier d’insertion de lavage automobile et les maraudes.
« C’est mieux que de ne rien faire, j’ai un contrat de 24 heures/semaine. C’est une vraie activité professionnelle, j’ai une fiche de paye. C’est une fierté pour moi, pour ma femme et ma fille. Aujourd’hui, c’est normal que j’aide Charlotte, comme elle m’a aidé. » Djibril, 34 ans, vit chez sa mère et travaille en binôme avec Mohamed à la station de lavage. « J’étais au chômage au moment du confinement et je ne trouvais rien. J’ai atterri à l’association en janvier. Avec ce contrat, j’ai un revenu et le reste du temps, je peux me rendre utile. Il y a beaucoup de misère cachée ici… ».
En plus des colis alimentaires, l’association propose chaque semaine un repas solidaire à l’accueil de jour, fréquenté par une bonne centaine de personnes supplémentaires depuis un an. « On a été débordé au début, mais on s’est très vite organisé, on ouvre tous les jours, de 10 heures à 18 heures et une dizaine de personne sans domicile viennent aux repas », précise Charlotte. Pour répondre à la demande, un nouveau métier a été créé au sein de l’association, celui de Dimitri, sortant de prison, aujourd’hui adulte-relais à l’accueil de jour : « J’oriente les personnes, je prépare les colis, j’écoute beaucoup ceux qui sont dans la galère, particulièrement les sortants de prison… c’est important pour moi de pouvoir les aider. J’ai eu de la chance, j’ai été embauché pendant la crise, on m’a fait confiance. C’est ce que je veux dire à tous ceux qui viennent : on peut couler, mais on peut aussi avoir quelqu’un qui ne vous juge pas et qui vous fait confiance. » Aujourd’hui, avec seulement 3 salariés à temps plein et une vingtaine de bénévoles, l’association tourne à plein régime. Chantiers d’insertion, parcours renforcé vers l’emploi pour les plus éloignés du marché du travail, relation de parrainage aidants/aidés auprès du public à la rue, sorties estivales… « Les personnes en errance, ce n’était pas notre public, on s’est formé sur le terrain pour que la chaine de solidarité n’oublie personne. Placer l’humain au cœur de l’échange et du partage, c’est comme ça qu’on fait de l’inclusion. »