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Réfugiés : au-delà de l’urgence

Porter secours, mais pas seulement. À chaque catastrophe humanitaire, c’est la notion d’aide qui est à redéfinir pour redonner aux victimes la possibilité de vivre dignement.

« On chasse les rats toutes les nuits ». Ce témoignage d’un jeune roumain, installé entre deux bretelles d’autoroute à Bondy, en Seine-Saint-Denis, Annabella Orange s’en souvient encore. Là, des familles entières survivaient sans eau potable, sans électricité. C’était il y a dix ans. Aujourd’hui, des habitants de ce bidonville désormais disparu travaillent et sont logés en Hlm. « Ce qui est fondamental, c’est de donner la parole aux exilés. Recueillir le témoignage de chacun, être à l’écoute du parcours permet un véritable accompagnement. À Habitat-Cité, nous intervenons habituellement à une petite échelle, celle du squat de moins de 50 personnes, mais ces dernières années, nous avons été sollicités sur des squats allant jusqu’à 400 personnes »,précise la directrice de l’association qui travaille notamment depuis 2005 à l’amélioration des conditions de vie des habitants russophones, roumains et caucasiens, dans des lieux de vie informels d’Ile-de-France. « Par le biais des récits de vie, nous avons pu agir sur des phénomènes mafieux de trafic, voire de traite, de grande ampleur… »

Comprendre les causes

Dans les permanences que l’association anime ou dans les visites qu’elle réalise, c’est toujours la personne dans sa globalité qui est écoutée et aidée, si elle le désire. « Devant de nombreuses pathologies lourdes, nous avons décidé de nous rendre en Géorgie avec un médecin bénévole à la rencontre des professionnels de santé, nous les avons questionnés. Ce sont les réfugiés qui nous ont conduits à cette démarche. Dans l’absolu, le but, c’est le relogement, mais avant, il faut comprendre la cause de l’exil et du squat. Pourquoi les personnes sont arrivées là », ajoute Annabella. Comprendre pour mieux défendre les droits : entre 2019 et 2020, Me Claire Bruggiamosca a ainsi pu obtenir l’annulation d’au moins douze obligations de quitter le territoire français prises après le rejet de leur demande d’asile, entraînant le réexamen de la situation des personnes en raison de leur problème de santé. « Les demandes d’asile de Georgiens sont fondées sur des craintes avérées (violences conjugales, vendetta, carences au niveau judiciaire, notamment) nécessaires pour toute demande auprès de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) et de la Cour nationale du droit d’asile (CNDA), mais elles sont le plus souvent rejetées. Grâce aux documents fournis par Habitat-Cité sur les pathologies des habitants des squats, le suivi avec des juristes et la mise en relation directe avec des traducteurs, nous avons eu de très bonnes jurisprudences, portant annulation des obligations de quitter le territoire. La délivrance d’un titre de séjour pour soins permet effectivement aux personnes de poursuivre leur suivi médical et plus globalement leur accompagnement. Au-delà du travail d’enquête en amont réalisé par l’association, il y a ensuite un suivi de leur part à l’exécution des décisions. C’est très important », précise l’avocate. En Ile-de-France ou à l’étranger, les 14 salariés et 50 bénévoles d’Habitat-Cité placent l’humain au cœur de leurs actions afin de faire reculer durablement la pauvreté et l’exclusion. « Ce sont les migrants eux-mêmes, les déplacés à l’intérieur d’un pays ou les exilés qui font les ponts, les liens entre nos actions. Nous sommes une petite association et voulons rester à une taille que l’on maitrise. Notre objectif, c’est de travailler avec d’autres partenaires et d’être en lien avec les collectivités territoriales pour ouvrir des portes, qu’il s’agisse de l’hébergement, puis du logement ; de la santé ou de l’emploi. »

Dignité et solidarité

Privilégier les partenariats pour permettre le meilleur accompagnement possible, c’est aussi ainsi qu’Utopia 56 fonctionne depuis 2015, à Calais et Grande Synthe d’abord, puis ensuite à Rennes, Paris, Toulouse et récemment à Tours et Dijon. « Permettre un accueil digne et solidaire, éviter aux exilés le passage systématique par la rue, c’est notre objectif. Nous intervenons dans l’urgence pour répondre aux besoins de première nécessité, dont l’hébergement, et palier les manques. On assure par exemple des maraudes de distribution et d’orientation dans des endroits et à des horaires non couverts par d’autres associations. Le long du littoral, les réfugiés ont la possibilité de nous appeler 7 jours/7, 24 heures/24. À Paris, nous assurons une mise à l’abri pour les familles et femmes seules à la rue tous les soirs de l’année », précise Emelyne Hardy, responsable des Partenariats. Au-delà de l’intervention d’urgence, l’association assure également un accompagnement à plus long terme pour les exilés les plus vulnérables, ceux qui se trouvent dans une situation de vide juridique et institutionnel, dont principalement les mineurs isolés en recours pour la reconnaissance de leur minorité. « Nous avons ouvert 5 maisons en Ile-de-France, à Tours et à Lille, dans lesquelles nous assurons un accompagnement global des jeunes, au-delà du temps de leur recours et jusqu’au logement pérenne et autonome. Notre but, c’est de les faire passer du non-statut à la reprise d’un parcours de vie complet », complète Emeline. Régularisation administrative, scolarité, emploi, santé… « On s’appuie sur des associations spécialisées sur chacune de ces questions et notre rôle, c’est de commencer ce travail d’insertion dès que nous les rencontrons ». Dans les maisons d’Utopia 56, les jeunes mineurs peuvent rester jusqu’à 18 mois.

Travailler sur la citoyenneté pour éviter le non-statut et l’errance, est également l’ambition d’Emmaüs International qui a travaillé dès 2013 sur cette thématique avec un double objectif : tenir une conférence internationale aux Nations Unies et créer un passeport de citoyenneté universel pour dénoncer les politiques de non-accueil des migrants. « Dès le début des années 2000, nous avons pris position sur les questions d’accueil inconditionnel et de libre circulation pour tous les citoyens. En 2017, 400 organisations, dont la Fondation Abbé Pierre, signaient avec nous une lettre au Président Macron dans laquelle nous demandions un changement radical de la politique migratoire au niveau de la France et de l’Europe », précise Stéphane Melchiorri, responsable de la Solidarité Internationale. 

Citoyens du monde

Faire face aux crises migratoires actuelles ou à venir - la Banque Mondiale estime qu’il y aura 216 millions de déplacés climatiques en 2050 - sans sanction ni répression, c’est rappeler sans cesse que la pauvreté n’est pas un crime et que la vie humaine doit être protégée. « On n’empêchera jamais quelqu’un qui se sent en danger de fuir son pays. On le voit avec l’Ukraine, l’intervention européenne commune a été positive. Des moyens ont été développés dans l’urgence, il faut les pérenniser et en développer d’autres, notamment généraliser l’accès aux dispositifs d’accès aux droits, créer des outils de participation citoyenne », ajoute Stéphane. 

Plus que jamais, à l’échelle nationale, comme au niveau mondial, aider les réfugiés, c’est refuser l’indignité et l’exclusion.